2 - Les solutions théoriques aux problèmes environnementaux
Divers courants et analyses économiques ont tenté de proposer des solutions face à l'ampleur des dégâts causés par les problèmes environnementaux. L'enjeux est d'importance prépondérante, puisqu'il s'agit de la survie de « l'espèce humaine ».
Les solutions proposées correspondent généralement à trois tendances : la « tradition Pigouvienne », le « théorème de Coase », et le courant Ecologique.
A - La Tradition Pigouvienne
La tradition Pigouvienne et le théorème de Coase font tout deux partie de l'économie néoclassique.
La théorie néo-classique enseigne que les préférences des individus au sein d'un marché parfait se révèlent tel qu'elles sont satisfaites de manière optimale pour la société. Le problème réside dans le fait que les marchés parfaits n'ont jamais existé. Plus particulièrement, il y a échec de marché concernant les questions de monopoles naturels, de biens publics et d'externalités. Le marché montre une véritable incapacité de dévoiler les préférences en ce qui concerne les biens publics ou collectifs. Or la plupart des biens d'environnement sont des biens collectifs.
Un bien collectif peut être défini par une double propriété.
Non rivalité : le fait d'utiliser ce bien n'empêche pas les autres de l'utiliser et ne lui enlève rien.
Non exclusivité : il est impossible d'écarter qui que ce soit de l'utilisation, y compris les individus ne participant pas à son financement. Il y a une difficulté qui vient du phénomène dit du profiteur ou « free rider ». Un individu a pas intérêt à révéler ce qu'il consentirai à payer pour bénéficier d'un bien public, il lui suffit d'espérer que se seront les autres qui en supporteront la charge financière. Ici la vérité des prix n'existe pas, les mécanismes du marché échouent. Il est difficile de produire des biens collectifs.
1) Effet externe et déséconomie externe
a ) Marshall et les effets externes
Au cours de son analyse des rendements croissants en 1890, Alfred Marshall (1842 - 1880) dans son livre « Principes d'Economie Politique » explique que la nature est soumise à la loi des rendements décroissants, tandis que l'organisation industrielle engendre des rendements croissants. Il avance la notion d'économie externe pour démontrer cela. Ceux sont notamment les économies d'échelle qui se manifestent au sein d'une entreprise qui augmente son échelle de production. Constatant que ces économies internes n'était pas suffisante pour expliquer les rendements croissant, il introduit une autre explication. Selon cette explication, les rendements croissants viendraient aussi d'économies externes. Ceux sont « celles qui résultent du progrès général de l'environnement ». Ex: les progrès des moyens de transport...
Marshall
trouvait ainsi une explication suffisante entre les rendement
décroissants dans l'agriculture et la croissance continue du
produit global par habitant. Il n'a cependant fait que constater ces
économies externes et ne les a pas évaluées,
c'est-à-dire donné un quasi prix.
Aujourd'hui le concept d'externalité est devenu extrêmement large et souvent imprécis. On peut définir les externalités comme les effets positifs ou négatifs qu'entraîne l'activité d'un agent économique à l'extérieur de cette activité ou que subi cet agent en provenance de l'extérieur. Ceux sont des biens ou des charges extérieurs au marché. Marshall n'a mis en évidence que les effets extérieurs positifs, et c'est Pigou qui a mis en évidence que les effets externes peuvent aussi être négatif.
b ) Pigou et les déséconomies externes
En 1920, Pigou explique que la pollution est une déséconomie externe dans la mesure où les dommages qu'elle provoque ne sont pas directement pris en compte par le marché. Les déséconomies externes constituent donc un coût social non compensé, imposé à la collectivité, en-dehors de toutes transactions volontaires.
Cette notion traduit donc des conflits d'intérêts entre agents économiques sans que ces conflits s'expriment directement en terme monétaire. Les effets externes peuvent prendre quatre formes:
Les
effets externes entre producteurs (ex: usine polluant l'eau utilisée
par une tannerie).
Les effets externes de producteur à consommateur (ex: pollution d'un lac).
Les effets externes de consommateurs à producteur.
Les effets externes entre consommateurs, qui peuvent être dus à la pollution ou aux phénomènes d'encombrement.
Pigou a proposé de régler le problème des externalités en internalisant les externalités, c'est-à-dire en leur associant un quasi-prix. Ce n'est pas un vrai prix car il n'y a pas de marché. C'est un « shadow price »). Pour Pigou, « le seul instrument de mesure évidemment disponible dans la vie sociale est le monnaie ».
A partir de Pigou, la voie de l'intégration des biens d'environnement à la théorie économique était donc ouverte. Les économistes néo-classiques dès la fin des années 50 vont suivre les enseignements de Pigou en proposant de ramener au moyen d'une taxe le niveau de production de l'activité génératrice de pollution au niveau compatible avec un optimum social de Pareto.
2) Le principe de base des politiques anti-pollution: le principe du pollueur payeur
Ce principe du pollueur payeur est un principe qui fait écho à un slogan politique: « que les pollueurs soient les payeurs ». C'est un pur produit de l'économie néo-classique. On est en effet ici dans le cadre néo-classique des facteurs de production. Les ressources d'environnement (l'air, l'eau...) constituent un facteur de production exactement au même titre que les autres éléments entrant dans le processus de production.
Le
facteur de production environnement, plus précisément
la dégradation de l'environnement doit être rémunéré
au même titre que les autres facteurs. Pour que les coût
des biens et services produits reflètent la rareté
relative des ressources d'environnement, il faut donc que le pollueur
prennent en charge les coûts de ces ressources. C'est cette
règle de bon sens économique qui se trouve à la
base du principe du pollueur payeur. Le coût doit être
dans les coût de production. Le pollueur doit internaliser les
coûts de pollution. Avec cette internalisation il y a donc un
« signal prix » qui est donné et le
système économique peut réagir et s'adapter en
conséquence. C'est l'OCDE qui a défini et recommandé
depuis 1972 l'application du principe du pollueur payeur.
« Ce principe signifie que le pollueur devrait se voir imputer les dépenses relatives aux mesures arrêtées par les pouvoirs publics pour que l'environnement soit dans un état acceptable. En d'autres termes, le coût de ces mesures devrait être répercuté dans le coût des biens et services qui sont à l'origine de la pollution du fait de leur production et/ou de leur consommation. »
OCDE, "Le principe du Pollueur Payeur, Définition, analyse, mise en Suvre".
De là on peut remarquer :
Le principe du pollueur payeur n'implique pas forcément la prise en charge des coûts par le pollueur. Le pollueur peut répercuter ses coûts de production dans ses prix de ventes. On devrait plutôt parler de principe pollueur premier payeur.
C'est au pouvoir public de déterminer qui est le pollueur, donc le payeur.
Le pollueur devra payer ce que les pouvoir public lui demande (normes, taxes, dédommagements...).
Le principe du pollueur payeur n'est pas un principe d'optimisation car n'implique pas obligatoirement une diminution de la pollution à un niveau optimal.
Le principe du pollueur payeur n'est pas un principe général d'internalisation parce que les coûts de l'environnement peuvent aussi être internalisé au moyen de subventions ou de prime versé au pollueur.
Au total le principe du pollueur payeur constitue un principe général d'allocation des coûts d'environnement. Il a été adopté comme principe de base des politiques d'environnement par les pays de l'OCDE.
Il y a une nécessité d'adopter un principe commun parce que si chaque pays applique une politique différente il y aura forcément des distorsions et donc conflit en matière de commerce international.
Mais le principe du pollueur payeur n'a pas satisfait tout les auteurs néo-classiques. Coase propose une autre approche.
Ronald Coase est célèbre pour deux articles: « la nature de la firme » (Economica; 1937) et « le problème du coût social » (Journal of law and economic; Octobre 1960). Dans le premier article Coase invente le concept de coût de transaction. Dans le second il remet en question la tradition pigouvienne d'internalisation des externalités à partir d'une approche en terme de droit de propriétés.
1) La notion de coût de transaction
En
1937, Ronald Coase pose des questions: pourquoi y a-t-il des firmes
plutôt que pas de firmes ? Pourquoi n'y a-t-il pas que des
petites entrepreneurs individuels ? Pour répondre Coase
introduit la notion de coûts de transaction. Par ce terme, il
faut entendre l'ensemble des coûts liés à la
mesure des échanges (coûts de négociation, coût
de transaction des prix...) ainsi que ceux lié au droit de
propriété (coût d'un avocat, coût d'un
expert...). Ceux sont donc les coût d'accès au système
de prix (alors que dans la théorie néo-classique, les
coûts d'accès au système de prix sont nuls).
Avec ce concept Coase peut répondre à ses questions de départ : il y a des firmes parce que les coûts de transaction (les coûts d'accès au système de prix sur le marché externe) sont supérieurs pour l'obtention du même bien et du même service aux coûts d'organisations internes des firmes. (Mais comment les évaluer ? Coase ne propose rien!).
2) La mise en cause de la tradition pigouvienne
Pour Ronald Coase, les problèmes d'environnement trouvent leur origine non pas dans de prétendues défauts du marché mais dans de réels défauts de droits de propriété. En l'absence d'une définition stricte de ces droits, la pollution a pour caractéristique un caractère réciproque: le pollueur a autant le droit de polluer que le pollué le droit de ne pas être pollué.
Il
n'est pas pertinent de s'interroger comme le fait Pigou en terme de
différence entre coût privés et coût social
(cette différence devant être chez Pigou internalisé
au moyen de la taxe). Pour Coase le critère pertinent pour
apprécier la solution à apporter à un effet
externe réside dans la maximisation de la valeur du produit
collectif : seule l'efficience de la solution proposée importe
et non son caractère équitable. Le choix de la solution
la plus efficiente va dépendre chez Coase de la comparaison
coût de transaction/coût d'organisation de
l'administration. Cette comparaison a pour cadre le théorème
de Coase: après une définition des droits de propriété
sur l'environnement et en l'absence de coût de transaction, il
y a un intérêt économique à ce que qu'une
négociation s'instaure directement entre pollueur et victime
de la pollution (=> dans un monde où les coût de
transaction sont nulles et les droits de propriétés
bien définis), il est possible d'obtenir une allocation
optimale des ressources sans intervention de l'état). Dans le
monde réel les coûts de transaction sont toujours
positifs, et Ronald Coase dégage deux cas possibles pour
atteindre l'efficience à partir de la comparaison entre les
coûts de transaction et les coûts d'organisation de
l'administration :
Les coût de transaction (pour marchandiser la pollution entre pollueur et pollués) sont inférieurs aux coûts d'organisation de l'administration (pour définir le pollueur, évaluer monétairement le coût social, pour prélever la taxe et contrôler son application). Dans ce cas il faut laisser faire le marché et les externalités disparaîtront au terme de la négociation des agents.
Les coûts de transaction sont supérieurs aux coûts d'organisation de l'administration. Dans ce cas l'état doit intervenir, y compris sous forme réglementaire.
3) Théorème de Coase et droits de propriété
Selon Ronald Coase, le simple établissement de droits de propriété (donc sans taxe fixée par l'état) devrait permettre la réalisation d'un optimum. Un droit de propriété donne le droit d'utiliser une ressource. Si les pollués disposent du droit de propriété, il disposent du droit de ne pas être pollué. Si les droits de propriété sont conférés à la firme polluante, elle a le droit de polluer.
Il
y a deux possibilités concernant les droits de propriété:
Les pollués obtiennent le droit de propriété. Dans ce cas le pollueur doit soit épuré soit racheté des droits de propriété (c'est-à-dire des droits à polluer).
La firme obtient les droits de propriété (elle a le droit de polluer). Dans ce cas ce sont les pollués qui vont offrir des compensations à la firme pour qu'elle réduise son activité.
L'intervention de l'état est donc inutile dans la lutte contre la pollution.
C - Le courant Economie Ecologique
A l'opposé des idées développées par les économistes libéraux, un mouvement écologique s'est instauré. Il poursuit le même but que les auteurs néo-classiques : concilier développement et environnement. Mais les moyens qu'il propose diffèrent des solutions théoriques déjà proposées.
1) La bio-économie : les positions radicales de Georgescu-Roegen
Selon Nicholas Georgescu-Roegen, la bio économie conçoit le processus économique comme une extension de l'évolution biologique. Elle se présente en trois points :
Nous
sommes une espèce biologique comme toute les espèces
terrestres.
Comme toutes les autres espèces terrestres, notre espèces est confinée dans un environnement limité.
A l'intérieur de cette environnement limité, notre espèce est soumise aux contraintes imposées par les lois physico-chimiques (la loi la plus essentielle étant la loi de l'entropie).
a ) Georgescu-Roegen et les lois thermodynamiques
On doit à Nicholas Georgescu-Roegen la réintroduction des aspects physiques de la production dans le champs de vision des économies. Il a mis en évidence les conséquences de la thermodynamique sur le développement des sociétés humaines.
La thermodynamique étudie les lois de la transformation de la chaleur en travail. Les principes sont les suivants:
Le principe de conservation ou d'équivalence de l'énergie. L'énergie de l'univers est constante.
Le principe de la dégradation de l'énergie (principe de Carnot ou loi de l'entropie). Carnot en 1824 montre qu'il y a une perte inéluctable de la quantité de l'énergie. Ce phénomène est appelé « entropie » (du grec « transformation »). C'est la diminution irréversible de l'énergie disponible pour produire du travail. C'est une mesure de l'énergie inutilisable dans un système thermodynamique. Elle se définie comme une mesure du désordre. Cette loi stipule que l'entropie d'un système clos augmente constamment ou que l'ordre d'un tel système se transforme continuellement en désordre.
Pour Nicholas Georgescu-Roegen, il y a un principe de dégradation de la matière. La matière est elle aussi soumise à la loi de l'entropie. Donc des limites physiques que rencontrera la croissance des sociétés industrielles résident dans l'entropie matérielle, et pas seulement dans le disposition énergétique.
Du point de vue de la thermodynamique, la matière-énergie absorbée par le processus économique l'est dans un état de basse entropie et elle en sort dans un état de haute entropie. Le processus économique d'un point de vue purement physique ne fait que transformer des ressources naturelles de valeurs (basse entropie) en déchets (haute entropie). Par suite de cette destructuration de la matière et de l'énergie, les développements économiques actuels affectent ceux qui seront possibles aux hommes de demain.
Georgescu-Roegen fait des propositions :
Nécessité d'aller vers la décroissance.
Refuser les instruments économique de gestion de l'environnement.
Le principe de non regret et de minimisation des regrets futurs. Ce principe correspond au principe de prudence. Il doit servir de ligne de conduite aux activités humaines.
Retour aux matières issus du vivant (bio masse) et chercher à développer l'énergie solaire.
2) La tentative de refondation économique
L'économie écologique, selon Herman Daly en 1987, se présente comme un champ interdisciplinaire étudiant les relations entre systèmes socio-économiques et écosystèmes. On y trouve un certain nombre de préceptes qui proviennent, d'une part, de la science écologique et, d'autre part, d'une réflexion élargie sur l'économie.
a ) Les enseignements de l'écologie
Selon les partisans d'une « économie écologique », l'écologie doit fournir les bases d'une nouvelle description analytique du processus économique. Trois aspects prédominent:
Le point de vue holiste, propre à la science écologique, est privilégié. L'économie écologique entend ainsi renverser la hiérarchisation opérée traditionnellement par les économistes qui cherchent à internaliser la logique écologique dans la logique économique. La relation d'inclusion qui doit être reconnue est inverse : les systèmes socio-économiques sont des sous-systèmes ouverts sur le système écologique planétaire dans lequel ils doivent ménager leur insertion. Les hypothèses de séparabilités spatiale et temporelles qui sont attachées aux notions « d'environnement » et de « ressources naturelles » qu'utilise l'économie néo-classique apparaissent en contradiction flagrante avec la réalité de la biosphère, cette organisation hypercomplexe dont on commence à peine à comprendre les mécanismes.
Les systèmes socio-économiques et les systèmes naturels sont en perpétuelle évolution. Le processus économique (processus de « destruction/création » selon l'expression de Schumpeter) modifie irrévocablement le milieu naturel et, en retour, ce dernier modifie irrévocablement le premier. Richard Norgaard en 1985 a été l'un des premiers à souligner ce phénomène que les écologistes appellent un phénomène de « coévolution ». Dans le cas de l'espèce humaine, cette continuelle interaction génératrice d'histoire entre société et biosphère ne peut se comprendre qu'en prenant en compte le rôle joué par la culture S'il importe de tenir compte de la forte évolution de la population qui devrait se stabiliser vers 2050, il importe aussi de considérer se qu'Alfred Lotka et Nicholas Georgescu-Roegen appellent la dimension « exosomatique » de l'évolution de l'homme, à savoir l'importance que revêtent les outils, la technique et, plus largement, les modes de production dans cette dynamique. Ainsi, environ 25% de la population mondiale vivant dans les pays industrialisés consomme et produit 80% respectivement, des ressources et des déchets mondiaux. C'est dans cette perspective coévolutive qui met l'accent sur le long, voire le très long terme, que les tenants de l'économie écologique, réunis autour de Robert Costanza, se sont donnés pour tâche prioritaire l'étude de la définition et des conditions d'un développement durable.
L'étude du « métabolisme industriel » est aussi un aspect dominant. Comme les écosystèmes, les systèmes socio-économiques se maintiennent et se développent dans le temps grâce à un apport constant de matière et d'énergie. Celles-ci ne peuvent être créées par l'homme, qui ne peut que les faire changer de forme. La thermodynamique est un savoir incontournable pour appréhender ces phénomènes de transformations énergétiques et matérielles. L'analyse économétrique trouve là son domaine d'application privilégié. De leur côté, Robert Ayres et Allen Kneese ont montré la loi de la conservation de la matière dans le processus économique et dans les phénomènes de pollution. C'est à cause de celle-ci, notent ces auteurs, que l'existence d'externalités ne peut être conçue comme une anomalie, mais au contraire comme un phénomène normal, inhérent à la production et à la consommation, qui prend de l'ampleur à mesure que le système économique se développe. Plus récemment, systématisant l'idée des « bilan-matières » qu'il avait introduite en économie, Robert Ayres a appelé à l'étude de ce qu'il appelle le « métabolisme industriel » de nos sociétés, à savoir l'études des échanges de matière et d'énergie qui s'effectuent entre la biosphère et les systèmes socio-économiques modernes. Celle-ci doit permettre de mieux comprendre la façon dont les hommes perturbent les grands cycles biogéochimiques et, ce faisant, de cerner certaines limites biophysiques dans lesquels doivent s'insérer les société humaines.
Mais, si les tenants de l'économie écologique insistent beaucoup sur l'étude du soubassement biophysique, leur conception de l'économie ne se réduit pas pour autant à cela.
b ) Une réflexion élargie sur le savoir et les valeurs
La (re)définition de l'interdisciplinarité entre l'économie et l'écologie passe aussi, selon certains auteurs, par une réflexion approfondie sur la positivité du discours scientifique et sur l'interaction existant entre les processus cognitifs et les processus de prises de décision en matière d'environnement. La plupart des problèmes d'environnement contemporains ont en effet des caractéristiques épistémologiques particulières qui font qu'ils n'apparaissent pas comme des contraintes écologiques clairement définies auxquelles doit répondre la société. Bien au contraire, l'ignorance est présente à tous les niveaux de l'expertise; les dommages y sont mal cernés, incertains et difficilement évaluables; les causalités et les responsabilités ne sont pas clairement établies; la rationalité des acteurs, dirait Herbert Simon, y est nécessairement limitée. Entourée d'incertitudes et d'incessantes controverses scientifiques, la reconnaissance du problème d'environnement est un processus complexe de construction sociale où interfèrent les intérêts économiques, industriels, politiques et médiatiques.
Dans ce contexte d'« univers controversé », comme l'appellent Jean-Charles Hourcade et Olivier Godard, les thèses scientifiques qui s'opposent sont convoquées par les auteurs en fonction de leurs stratégies propres, en vue de faire adopter les règles communes qui leur seront favorables. La « stabilisation » du problème d'environnement à laquelle on assiste naît de cette interférence entre l'univers cognitif et l'univers de l'action, et les mesures prises alors ne répondent souvent qu'imparfaitement à l'expertise (tant initiale que finale) du problème écologique. Il importe alors que ces « conventions d'environnement » qui en résultent, comme les appelle Olivier Godard, ne soient, d'une part, ni prématurées ni rigides et qu'elles préservent l'univers des options et, d'autre part, qu'elle définissent des objectifs clairs qui permettront aux acteurs de faire jouer leur rationalité.
L'analyse de tels processus prouve que les problèmes d'environnement se posent en terme de « légitimité » avant de l'être en termes d'efficacité. Tout débat sur l'environnement, toute question mettant en cause la nature est d'abord un affrontement entre différentes « visions du monde ». Il existe en effet une pluralité de légitimités et de « visions de la nature » au sein de toute société humaine, occidentale ou autre, et entre les sociétés elles-mêmes. Il existe d'autres « sentiments de la nature », d'autres types de légitimités, d'autres types de valeurs, d'autres types de représentations du monde, d'autres types de savoirs, d'autres types d'institutions que ceux qu'étudie et véhicule l' « idéologie économique ».
Pour rendre compte de cette pluralité, il importe de remettre en cause les prétendues objectivité et neutralité de l'analyse économique néoclassique. La microéconomie, pour reprendre les termes de Claude Henry, se présente en effet comme un « langage de négociation », c'est-à-dire un ensemble de critères, de règles, de mesures, à partir desquels les différents intérêts en présence vont pouvoir s'exprimer, s'énoncer, se confronter et, finalement, s'harmoniser... Comme si adopter un langage, ce n'était pas légitimer ses catégories, ses cadres, ses références; comme si adopter un langage, ce n'était pas déjà légitimer sa mise en ordre du monde. Mythifiant le progrès et la croissance, oeuvrant à ce que Habermas appelle la « colonisation du monde vécu », lié à ce que Latouche nomment l' « occidentalisation du monde », la théorie néoclassique a des présupposés idéologiques évidents (individus libres et égaux malgré des droits de propriété différents, marché conçu comme un mode de régulation harmonieux...). La façon dont celle-ci pose les problèmes (pas seulement d'environnement d'ailleurs) n'est que l'expression d'une de ces légitimités, d'une de ces échelles de valeurs qui, comme le rappellent des économistes institutionnaliste partisans de l'économie écologique comme Richard Norgaard ou Peter Söderbaum, sous-tendent tout discours sur la société. De plus, s'il est vrai que toute question mettant en cause la nature est d'abord un affrontement entre différentes « vision du monde », il est également vrai que celui qui souvent se fait entendre a usé d'une force et d'une qui ne sont pas que dans les paroles et dans les mots...